[co-author: David Côté, étudiant d'été]
Dans l’affaire Bhatnagar v Cresco Labs Inc (l’« affaire Bhatnagar »), la Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») a statué qu’il ne peut être présumé que des dommages-intérêts seront attribués lorsqu’un défendeur a manqué à son obligation d’exécution honnête. Invoquant l’arrêt de la Cour suprême du Canada (la « CSC ») dans l’affaire C.M. Callow Inc. c. Zollinger (l’« arrêt Callow »), la CAO a conclu que le demandeur doit démontrer qu’un tel manquement a occasionné une perte avant qu’il puisse avoir droit à des dommages-intérêts (pour en savoir davantage au sujet de l’arrêt Callow, consultez notre Bulletin Blakes de janvier 2021 intitulé Callow et l’obligation d’exécution contractuelle honnête : Ce qu’il faut savoir).
Contexte
En février 2019, les actionnaires de 180 Smoke (les « vendeurs ») ont vendu leurs actions à Origin House. Aux termes de la convention d’achat d’actions, les vendeurs bénéficiaient de la possibilité de toucher des paiements « d’étapes » additionnels si 180 Smoke réalisait, à la suite de la vente, certains objectifs relatifs à ses recettes annuelles. La convention d’achat d’actions stipulait également que si Origin House devait être vendue, les vendeurs toucheraient tous les paiements d’étapes futurs non réalisés.
Le 1er avril 2019, Origin House a annoncé sa vente à Cresco Labs Inc (« Cresco »). Les parties s’attendaient initialement à ce que l’opération soit clôturée en 2019. En juin 2019, Origin House a laissé savoir aux vendeurs qu’il n’y avait aucune raison de croire que l’opération ne serait pas clôturée.
Le 20 octobre 2019, Origin House a appris que Cresco avait proposé une nouvelle date de clôture, soit le 15 janvier 2020, mais elle n’a pas communiqué cette information directement aux vendeurs. L’opération a finalement été clôturée le 8 janvier 2020. Les vendeurs n’ont pas réalisé les objectifs relatifs aux recettes en 2019.
Comme l’opération a été clôturée en 2020, Cresco a versé aux vendeurs les paiements d’étapes non réalisés pour 2020 et 2021. Si la vente avait été clôturée en 2019, Cresco aurait été tenue de verser aux vendeurs le paiement d’étapes pour 2019, lequel se serait élevé à plus de 4 M$ CA. Les demandeurs ont alors intenté une poursuite contre Cresco, dans le but de d’obtenir le paiement d’étapes pour 2019.
La juge de première instance a statué qu’Origin House avait manqué à son obligation d’agir de bonne foi car si celle-ci avait bien avisé les vendeurs que l’opération serait clôturée en 2019, elle ne les avait toutefois pas informés que la date de clôture avait été repoussée à janvier 2020. Cependant, la juge ne leur a accordé aucuns dommages-intérêts puisque, de toute façon, malgré le manquement susmentionné, les vendeurs n’auraient pas été en mesure de réaliser les objectifs relatifs aux recettes ni de faire en sorte que l’opération soit clôturée en 2019.
Décision de la CAO
Interjetant appel de la décision de première instance, les vendeurs soutenaient que, selon l’arrêt Callow, les tribunaux doivent présumer que des dommages-intérêts peuvent être attribués si une partie manque à son obligation d’exécution honnête. Les vendeurs se sont appuyés sur le passage suivant de la décision des juges majoritaires de la CSC dans l’arrêt Callow :
[M]ême si je concluais que la juge de première instance n’avait pas tiré de conclusion explicite sur la question de savoir si Callow avait perdu une occasion d’affaires, on peut présumer en droit que ce fut le cas, puisque c’est la malhonnêteté même de Baycrest qui empêche maintenant Callow de prouver de façon concluante ce qui se serait produit si Baycrest avait été honnête.
La CAO a rejeté cet argument. Selon elle, la présomption décrite dans l’arrêt Callow était propre au contexte factuel en l’espèce et ne prend pas naissance à l’occurrence de chaque manquement à l’obligation d’exécution honnête. La malhonnêteté d’Origin House n’a pas empêché les vendeurs de perdre une occasion ou de prouver leurs pertes. De toute manière, les vendeurs n’auraient pas réalisé les objectifs relatifs aux recettes pour 2019. De plus, ils n’auraient pas été en mesure d’obtenir la clôture de l’opération en 2019 même si Origin House avait agi honnêtement.
Dans sa décision, la CAO explique plutôt que l’arrêt Callow établit une exigence générale selon laquelle il incombe au demandeur de démontrer que le manquement à l’obligation d’exécution honnête a entraîné la perte d’une occasion. Si le demandeur pouvait fournir une telle preuve, il aurait ainsi droit à des dommages-intérêts lesquels le mettraient dans la même situation que si l’obligation d’exécution honnête avait été satisfaite. Dans la présente affaire, comme les vendeurs auraient été dans la même situation que si l’obligation d’exécution honnête avait été remplie, ils ne pouvaient prouver aucune perte.
Principaux points à retenir
L’affaire Bhatnagar vient clarifier l’ambiguïté soulevée par l’arrêt Callow sur la question de savoir si un manquement à l’obligation d’exécution honnête donne naissance à la présomption d’une perte. Selon la CAO, la réponse est non, et la question des dommages-intérêts est distincte de celle du manquement. Pour obtenir des dommages-intérêts, le demandeur doit prouver que le manquement a donné lieu à une perte.
Cette approche cadre avec l’approche habituelle en matière de dommages-intérêts en droit contractuel, selon laquelle un demandeur doit démontrer les pertes qu’il a subies en raison d’un manquement de l’autre partie au contrat. S’il peut le faire, il a généralement droit à des dommages-intérêts qui le mettraient dans la même situation que si l’obligation avait été satisfaite. Selon la CAO, l’obligation d’exécution honnête doit être traitée de la même manière.