Hygiène, sécurité et conditions de travail / Sélection de jurisprudence – France / Premier semestre 2023

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Cette newsletter revient sur six décisions notables en matière d’hygiène, sécurité et conditions de travail :

  • Suivre la charge de travail des salariés est une composante de l’obligation de sécurité de l’employeur (Cass. soc., 13 avril 2023, n°21-20.043)

L'employeur est tenu de suivre la charge de travail de ses salariés. Ce suivi entre dans le champ de son obligation légale de sécurité. La carence de l’employeur peut justifier le versement de dommages et intérêts aux salariés dès lors que ce manquement leur porte préjudice. C’est la précision apportée par cette affaire.

A l’occasion de la contestation de son licenciement, un cadre porte différentes demandes devant le conseil de prud’hommes à l’encontre de son employeur. Il sollicite notamment sa condamnation à lui verser des dommages-intérêts pour méconnaissance de son obligation légale de sécurité, arguant de ce que l’absence de suivi de sa charge de travail a préjudicié à sa santé. Le salarié s’appuie en particulier sur le fait que l’employeur n’a pas mis en place d’entretien annuel pour évoquer sa charge de travail et son adéquation avec sa vie personnelle.

Les juges du fond le déboutent de ses prétentions. S’appuyant sur différents indices, ils estiment que le salarié ne rapporte pas la preuve de ce que son rythme de travail était important.

Le raisonnement ne convainc pas la Cour de cassation. Celle-ci relève le défaut d’entretiens annuels destinés à suivre la charge de travail du salarié, qu’elle caractérise de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Selon la cour régulatrice, il aurait fallu vérifier si un préjudice en était résulté pour le salarié et, dans l’affirmative, indemniser l’intéressé.

Cette décision appelle les employeurs à suivre attentivement non-seulement les temps de travail et de repos des salariés mais aussi leur charge de travail, qui relèvent d’obligations légales distinctes.

A toutes fins utiles, rappelons que l’organisation d’un ou plusieurs entretiens annuels d’évaluation et de suivi de la charge de travail fait partie des prescriptions minimales pour la validité d’une convention de forfait en jours sur l’année.

  • Créer un poste pour reclasser un salarié inapte requiert de consulter le médecin du travail (Cass. soc., 21 juin 2023, n°21-24.279)

Le licenciement d’un salarié déclaré inapte par le médecin du travail n’est possible qu’à la condition de ne pas êtes parvenu à le reclasser dans un poste adapté à ses capacités. Si le professionnel de la santé au travail a émis des préconisations pour ce reclassement, l’employeur doit en tenir compte. Il doit au besoin solliciter à nouveau l’appréciation du praticien. C’est l’apport de cet arrêt.

Dans cette affaire, un salarié déclaré inapte est licencié après avoir refusé son reclassement dans un poste créé spécialement pour lui par l’employeur. L’intéressé conteste la résiliation de son contrat de travail. Selon lui, l’employeur a manqué à son obligation de reclassement. Le salarié avance que l’employeur aurait dû consulter à nouveau le médecin du travail dès lors que son refus du poste proposé était motivé par l’incompatibilité de l’emploi envisagé avec son état de santé et des divergences de vues sur l’observation de certaines préconisations médicales équivoques au regard de ses conditions et aptitudes physiques. Le nouveau poste impliquait en effet la conduite d'un véhicule alors que le médecin du travail, sans exclure les déplacements, avait exclu un maintien long dans une même position.

La cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, donne raison au salarié et juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’on ne peut qu’une nouvelle fois appeler à la plus grande prudence s’agissant des licenciements pour inaptitude, et recommander d’impliquer le médecin du travail jusqu’au terme de la procédure.

  • Imposer trop de contraintes pendant l’astreinte peut transformer celle-ci en temps de travail effectif (Cass. soc., 21 juin 2023, n°20-21843)

Les astreintes ne sont pas du temps de travail effectif. Seuls les temps d’intervention pendant l’astreinte - temps de trajet compris - sont qualifiés et rémunérés comme tel. Mais pour que l’astreinte échappe à cette qualification de temps de travail effectif et à la rémunération associée, encore faut-il que pendant celle-ci le salarié, tout en restant en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise, puisse ne pas être sur son lieu de travail ni à la disposition permanente et immédiate de l’employeur. Des conditions qui ne sont pas toujours aisées à remplir lorsque l’activité en cause impose que le salarié se tienne prêt à intervenir sans délai à toute heure du jour et de la nuit.

Dans cette affaire, un dépanneur autoroutier en astreinte devait conserver son téléphone et son véhicule d’intervention en permanence avec lui, et pouvoir réaliser tout dépannage sous 30 minutes maximum à compter d’un appel. Il s’agissait de tenir ainsi l’engagement d’assistance 24h/24, 7 jours sur 7, 365 jours par an pris par son entreprise vis-à-vis des usagers.

Un litige survient au cours de la relation de travail. Le salarié demande alors la requalification de ses astreintes en temps de travail effectif, le paiement d’heures supplémentaires et une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. Il met en avant la brièveté du délai imposé pour réaliser ses interventions, ainsi que leur fréquence.

Faute de succès devant les juges du fond, l’intéressé se pourvoie devant la Cour de cassation. A raison car celle-ci censure la décision de la cour d’appel l’ayant débouté de ses demandes, en rappelant que l’intensité des contraintes imposées pendant l’astreinte peut caractériser un temps de travail effectif.

Selon la chambre sociale, la cour d’appel aurait dû vérifier « si le salarié avait été soumis, au cours de ses périodes d'astreinte, à des contraintes d'une intensité telle qu'elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n'étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles ».

Une décision à garder en mémoire lorsque l’employeur fixe le délai d’intervention attendu du salarié notamment.

  • L'inaptitude du salarié peut être constatée même pendant son arrêt maladie (Cass. soc., 24 mai 2023, n°22-1051)

En règle générale, l’inaptitude est constatée lors de la visite de reprise faisant suite à un arrêt de travail. Cela n’interdit pas pour autant au médecin du travail de la constater à l’occasion d’une autre visite médicale. Illustration.

Dans cette affaire, un salarié prend l’initiative de se faire examiner par le médecin du travail pendant un arrêt de travail pour maladie. A l’issue de cet examen, le professionnel de la santé au travail conclue à l’inaptitude de l’intéressé. S’en suit son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le salarié conteste la rupture de son contrat. Il prétend que le médecin du travail ne pouvait pas conclure à son inaptitude dans ces conditions. Sans succès.

Selon la Cour de cassation, le médecin du travail peut constater l'inaptitude d'un salarié à son poste à l'occasion d'un examen réalisé à la demande de celui-ci, peu important que l'examen médical ait lieu pendant la suspension du contrat de travail.

Une décision classique mais utile à conserver à l’esprit.

  • Télétravail et accident de travail : de l’importance des horaires et lieux de travail (CA Amiens, 15 juin 2023, n°22/00474 ; CA Saint Denis, 4 mai 2023, n°22/00884)

Les accidents du travail survenus en situation de télétravail soulèvent toujours de nombreuses questions. La loi énonce que tout accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l'exercice de l'activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail. L’application stricte de cette définition peut permettre de résoudre simplement certaines situations. Exemples :

CA Amiens, 15 juin 2023, n°22/00474

Une salariée réalisait sa mission en télétravail suivant un horaire défini et strictement contrôlé via un dispositif de pointage numérique. Elle s’était aménagé un espace de travail dans son sous-sol. L’après-midi de l’accident, elle termine sa journée de travail en badgeant via la pointeuse numérique à 16h01, puis emprunte les escaliers lui permettant de quitter son sous-sol. Elle chute alors et se fracture le coude. L’accident du travail n’est pas reconnu.

Un contentieux s’en suit. Les juges du fond confirment la position de l’Assurance Maladie. La présomption d'imputabilité de l'accident au travail ne jouait pas. Au regard de la pointeuse numérique, la salariée n’était en effet plus au temps du travail lors de sa chute accidentelle. Elle devait donc démontrer que l’accident était survenu par le fait ou à l'occasion du travail, ce à quoi elle échoue.

L’on voit ici l’intérêt que peuvent avoir des dispositifs de contrôle de la durée du travail des salariés en situation de télétravail.

CA Saint Denis, 4 mai 2023, n°22/00884

Un salarié en télétravail rencontre une panne de connexion Internet. Il sort de son domicile sur la voie publique pour en rechercher les causes. Il constate alors qu’un camion vient de percuter le poteau télégraphique supportant sa ligne téléphonique et permettant son accès à Internet. S’engage une discussion avec le chauffeur du poids lourd accidenté. Un autre véhicule survient qui fait tomber le poteau, lequel heurte le salarié. Là encore, l’accident du travail n’est pas reconnu.

Selon les juges, en quittant son domicile pour la voie publique le salarié n’était plus au lieu du travail, si bien que la présomption d’imputabilité ne jouait plus. Ici aussi, le salarié a échoué à établir un lien avec son activité professionnelle. Selon les juges, nul ne lui avait imposé de rechercher l’origine de la panne. En prenant cette initiative, le salarié s’est placé hors de l'autorité de l’employeur. Il a cessé sa mission pour un motif personnel, si bien que l’accident du travail ne pouvait être reconnu.

DISCLAIMER: Because of the generality of this update, the information provided herein may not be applicable in all situations and should not be acted upon without specific legal advice based on particular situations.

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