Affaire Servier : la Cour de justice de l’Union censure l’arrêt du Tribunal et lui renvoie la balle

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Key Takeaways

Le 27 juin 2024, le laboratoire pharmaceutique Servier – qui, entre 2005 et 2007, avait conclu plusieurs accords transactionnels en matière de brevets impliquant des paiements inversés avec des génériqueurs (Niche/Unichem, Matrix, Teva, Lupin et Krka) – a largement perdu son combat contre la Commission européenne (la « Commission »). A la suite de pourvois contre l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne (le « Tribunal ») du 12 décembre 2018 introduits par la plupart des parties concernées (en ce compris Servier et la Commission), la Cour de justice de l’Union européenne (la « Cour ») a rendu sept arrêts s’inscrivant dans le sillage de sa jurisprudence constante selon laquelle les accords dits de « pay-for-delay » constituent des restrictions de concurrence par objet. Servier n’a toutefois pas encore dit son dernier mot dans cette saga qui date déjà de plus de dix ans, la Cour ayant renvoyé au Tribunal (i) la question de la compatibilité avec l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (le « TFUE ») de l’accord transférant à Servier deux demandes de brevets déposées par le génériqueur Krka relatives au périndopril, et (ii) la question du prétendu abus de position dominante commis par Servier sur le marché de ce médicament.

  • La Cour continue de faire preuve de fermeté vis-à-vis des laboratoires princeps dont elle considère qu’ils « achètent l’absence de concurrence » des génériqueurs sur le point d’entrer sur le marché en vue de prolonger le monopole dont ils bénéficient. Un tel comportement, manifestement contraire à l’objectif politique visant à permettre aux patients d’accéder aux médicaments à des prix abordables en Europe, est vu comme particulièrement nocif pour la concurrence par la Cour.
  • La Cour considère ainsi que les transferts tant de valeur directs que ceux de valeur indirects prenant la forme de transactions commerciales plus « classiques » (par exemple des accords de licence) sont susceptibles de constituer une infraction par objet au sens de l’article 101 du TFUE. Dans ce cas, les autorités de concurrence peuvent qualifier le comportement en cause d’infraction à cette disposition sans avoir à démontrer l’existence d’effets réels ou potentiels sur la concurrence.
  • Tout en reconnaissant les spécificités des accords de règlement amiable et de licence conclus entre Servier et Krka (notamment par rapport aux accords examinés jusqu’alors par la Cour et ceux conclus par Servier avec d’autres génériqueurs), qui ne prévoyaient pas de paiements inversés, la Cour juge néanmoins qu’ils revêtent une nature anticoncurrentielle en ce qu’ils aboutissent, ensemble, à un partage de marché contraire à l’article 101 du TFUE.
  • L’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Commission/Servier marque également le retour, en matière de délimitation du marché pertinent dans le secteur pharmaceutique, à une approche centrée sur les prix : là où le Tribunal avait accordé davantage d’importance aux facteurs non-tarifaires (en particulier aux avantages thérapeutiques perçus), ces facteurs sont relégués au second plan par la Cour qui considère que la substituabilité économique entre deux médicaments destinés à une même indication thérapeutique doit être examinée au regard des transferts de ventes induits par les changements légers mais durables de leurs prix relatifs (c’est-à-dire sur la base du test classique de l’élasticité de la demande par rapport au prix).

Contexte de l’affaire

Servier avait mis au point le périndopril, un médicament principalement destiné à lutter contre l’hypertension et l’insuffisance cardiaque au moyen d’un mécanisme d’inhibition de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (l’ « ECA »). Jusqu’au début des années 2000, Servier, détenteur du brevet sur le principe actif du périndopril, bénéficiait à ce titre d’une position de monopole sur le marché. Parallèlement à l’obtention de certificats de protection complémentaires couvrant ce principe actif (qui se présentait sous la forme d’un sel, l’erbumine) permettant à Servier de prolonger son monopole après 2001 au Royaume-Uni et dans divers États membres dont la France et l’Italie, Servier avait déposé un certain nombre de demandes de brevets secondaires concernant notamment (i) le procédé de fabrication du principe actif du périndopril et (ii) la forme cristalline alpha du périndopril erbumine et son procédé de fabrication (connu sous le nom de « brevet 947 », délivré en 2004).

Plusieurs laboratoires génériques préparant leur entrée sur le marché avaient cependant formé opposition contre le brevet 947 devant l’Office européen des brevets, afin d’obtenir sa révocation, sur le fondement du manque de nouveauté et d’activité inventive ainsi que du caractère insuffisant de l’exposé de l’invention. Des litiges concernant la validité du brevet 947 avaient également été portés devant certaines juridictions nationales, principalement au Royaume-Uni.

Ces procédures contentieuses ont finalement abouti à la conclusion, entre 2005 et 2007, de plusieurs accords de règlement amiable entre Servier et quatre génériqueurs, à savoir Niche/Unichem, Matrix, Teva et Lupin. En substance, ces accords prévoyaient, d’une part, un engagement des génériqueurs de ne pas commercialiser de version générique du périndopril jusqu’à l’expiration des brevets de Servier (clauses dites de « non-commercialisation ») et, d’autre part, un engagement de renoncer à contester la validité de ces brevets (clauses dites de « non-contestation »). En contrepartie, Servier renonçait à ses actions en contrefaçon. Ces accords prévoyaient également le versement aux laboratoires génériques de sommes d’argent significatives par Servier.

Servier était par ailleurs parvenue à trouver un accord avec un cinquième génériqueur, Krka, qui avait commencé à commercialiser un générique du périndopril dans plusieurs États membres d’Europe centrale et de l’est. Cet accord global comprenait trois sous-accords distincts :

  • un accord de règlement amiable, aux termes duquel Servier s’était désistée de ses actions en contrefaçon introduites à l’encontre de Krka, tandis que cette dernière avait accepté des clauses de non-contestation et de non-commercialisation ; cet accord n’avait entraîné aucun transfert de valeur ;
  • un accord de licence en vertu duquel Servier avait concédé à Krka, pour la durée du brevet 947, une licence exclusive et irrévocable sur ce brevet, couvrant les principaux marchés de Krka en Europe centrale et de l’est, en contrepartie du paiement par Krka d’une redevance de 3% sur les ventes nettes réalisées dans ces territoires ; et
  • un accord de cession et de licence, par lequel Krka avait transféré à Servier deux demandes de brevets sur des technologies utilisées pour la production du périndopril, en contrepartie du versement par Servier d’une somme d’argent de 30 millions d’euros (ensemble les « accords Krka »).

En juillet 2014, la Commission a sanctionné l’ensemble de ces entreprises pour un montant total de 427,7 millions d’euros. Elle avait, d’une part, constaté que Servier et les génériqueurs, en substituant leur coopération pratique aux risques de la concurrence, avaient considérablement retardé l’entrée des génériques sur le marché au détriment des patients et des systèmes de santé et, partant, avaient enfreint l’article 101 du TFUE. D’autre part, la Commission avait également considéré que Servier avait abusé de sa position dominante sur les marchés du périndopril et de la technologie correspondante, en mettant en œuvre une stratégie anticoncurrentielle globale consistant à acquérir toute technologie susceptible de constituer une source de concurrence potentielle à son médicament phare en violation de l’article 102 du TFUE.

Dans un arrêt du 12 décembre 2018, le Tribunal avait partiellement annulé la décision de la Commission. Tout en confirmant les conclusions de cette dernière s’agissant des accords Niche/Unichem, Matrix, Teva et Lupin, le Tribunal avait jugé que les accords Krka n’étaient pas restrictifs de concurrence. Par ailleurs, après avoir analysé de façon détaillée les pressions concurrentielles exercées sur le périndopril de Servier par d’autres inhibiteurs de l’ECA, le Tribunal a estimé que la Commission avait délimité le marché pertinent de manière erronée, en limitant celui-ci au périndopril (dans ses versions princeps et générique).

Par sept arrêts rendus le 27 juin 2024, la Cour est venue largement confirmer l’arrêt du Tribunal concernant les accords Niche/Unichem, Matrix, Teva et Lupin ainsi que les amendes correspondantes, qui sont désormais définitives. Elle a revanche considéré, à rebours de la position du Tribunal, que les accords de licence et de règlement amiable conclus avec Krka étaient anticoncurrentiels. S’agissant en revanche de l’accord de cession et de licence conclu avec Krka, la Cour a renvoyé l’affaire au Tribunal afin que celui-ci se prononce sur sa licéité au regard de l’article 101 du TFUE. Enfin, pour ce qui concerne la délimitation du marché pertinent, la Cour a invalidé les conclusions du Tribunal et a ce faisant rouvert le débat sur l’existence d’un éventuel abus de position dominante commis par Servier, débat qu’il appartiendra là encore au Tribunal de trancher.

La Cour confirme pour l’essentiel le caractère anticoncurrentiel des accords dits de « pay-for-delay »

Dans la droite ligne de l’approche stricte adoptée dans ses arrêts Generics UK et Lundbeck, la Cour a appliqué son test désormais bien connu d’évaluation des accords de règlement amiable en matière de brevets au regard de l’article 101 du TFUE. Il convient à cet égard de rappeler que tout accord de règlement amiable impliquant un transfert de valeur ne constitue pas nécessairement une restriction de la concurrence par objet. En effet, il existe des circonstances dans lesquelles, après avoir évalué ses chances d’obtenir gain de cause dans une procédure juridictionnelle l’opposant à un laboratoire princeps, un génériqueur peut légitimement décider de conclure un accord de règlement amiable avec celui-ci et recevoir, à ce titre, une somme d’argent en compensation des frais ou désagréments liés à ce litige.

En l’espèce, le test appliqué par la Cour suppose, dans un premier temps, de déterminer si les entreprises parties à l’accord sont – a minima – en relation de concurrence potentielle. Autrement dit, il incombe à la Commission de vérifier si, à la date de conclusion de l’accord, le génériqueur (i) avait entrepris des démarches préparatoires suffisantes pour être capable d’entrer sur le marché dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le laboratoire princeps (qui peut être de plusieurs années), et (ii) ne devait pas surmonter de barrières à l’entrée insurmontables pour y parvenir (l’existence de brevets secondaires tels que des brevets de procédé n’étant pas considérée comme un obstacle insurmontable).

Si la Commission parvient à la conclusion que les parties à l’accord sont effectivement des concurrents potentiels, il convient dans un second temps d’analyser le contenu de l’accord lui-même, ses objectifs ainsi que son contexte économique et juridique. Selon la Cour, afin de déterminer si un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets impliquant des transferts de valeur d’un laboratoire princeps au profit d’un génériqueur constitue une restriction de concurrence par objet, il incombe à la Commission de vérifier, premièrement, si le solde net positif de tels transferts peut se justifier intégralement par la nécessité de compenser des frais ou désagréments liés au litige en cause ou par celle de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou services au laboratoire princeps. Dans la négative, il convient de vérifier, deuxièmement, si ces transferts s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial des parties à l’accord de ne pas se livrer une concurrence par les mérites.

Au cas particulier, la Cour commence par confirmer que les accords conclus entre Servier, d’une part, et Niche/Unichem, Matrix, Teva et Lupin, d’autre part, sont contraires à l’article 101 du TFUE. Rejetant notamment l’argument de Servier selon lequel certains de ces accords auraient pu avoir pour effet proconcurrentiel d’avancer la date d’entrée sur le marché de médicaments génériques non contrefaisants, la Cour rappelle que les accords conclus avec des concurrents potentiels stipulant des clauses de non-commercialisation et de non-contestation fondés sur un transfert de valeur incitant les génériqueurs à renoncer à entrer sur le marché constituent une restriction de concurrence par objet au sens de l’article 101 du TFUE. Ce faisant, l’examen de leurs effets concrets sur la concurrence n’est pas nécessaire pour caractériser une infraction au droit de la concurrence.

En outre, substituant son analyse à celle du Tribunal, la Cour a jugé que les deux premiers accords Krka (à savoir l’accord de règlement amiable et l’accord de licence) constituaient également tous deux des restrictions de concurrence par objet au sens de l’article 101 du TFUE. Selon la Cour, bien qu’ils n’impliquaient pas de paiement inversé du laboratoire princeps vers le génériqueur (au contraire des autres accords conclus par Servier et de ceux examinés par la Cour dans les affaires Generics UK et Lundbeck), ces deux accords organisaient néanmoins, en l’espèce, un accord global de partage de marché contraire à l’article 101 du TFUE.

La Cour reproche plus précisément au Tribunal d’avoir examiné ces accords de façon séparée, alors qu’ils présentaient des liens étroits sur le plan économique. En effet, ainsi que l’illustrent les éléments du dossier, Krka n’aurait jamais conclu l’accord de règlement amiable sans l’accord de licence. Selon la Cour, l’accord de licence avait en effet motivé Krka à renoncer à vendre son périndopril générique sur les marchés principaux de Servier, et équivalait ce faisant à un transfert de valeur. Autrement dit, la Cour juge que ces deux accords sont complémentaires : d’une part, l’accord de règlement amiable garantissait à Servier que Krka ne commercialiserait pas son médicament générique sur ses principaux marchés nationaux (notamment la France et le Royaume-Uni) et d’autre part, l’accord de licence offrait à Krka la certitude de pouvoir commercialiser son médicament générique en Europe centrale et de l’est sans risque d’action en contrefaçon.

La Cour rejette également l’argument de Servier selon lequel la Commission aurait minimisé l’effet proconcurrentiel de l’accord de licence, qui aurait offert la possibilité à Krka de commercialiser son périndopril générique sur plusieurs marchés nationaux en toute légalité (ce qu’elle ne pouvait faire autrement). Selon la Cour, cette circonstance est inopérante : en effet, si la concession d’une licence en contrepartie d’un engagement de ne pas contester la validité d’un brevet peut dans certains cas s’avérer légitime, tel n’était pas le cas en l’espèce dans la mesure où les éléments du dossier révélaient que Krka avait délibérément choisi de ne pas pénétrer les marchés principaux de Servier en échange de la possibilité d’entrer immédiatement sur les marchés d’Europe centrale et de l’est – ce qui trahissait l’objectif plus général de partage de marché poursuivi par les parties.

Dès lors, quand bien même cet accord avait a priori pour effet de renforcer la concurrence en Europe centrale et de l’est, il poursuivait dans le même temps un objet anticoncurrentiel sur les marchés principaux de Servier (ces marchés étant précisément ceux concernés par le constat d’infraction de la Commission). Autrement dit, ce que la Cour considère comme anticoncurrentiel n’est pas l’octroi de la licence elle-même, mais la conjugaison de l’accord de règlement amiable et de l’accord de licence qui, considérés ensemble, participent d’un accord global de partage de marché entre Servier et Krka protégeant la première de la concurrence de la seconde. Un tel accord contrevient directement aux principes fondateurs de l’Union européenne, à l’origine du marché commun, dont le but consiste précisément à éliminer les obstacles à la libre circulation des marchandises entre les États membres, obstacles que les comportements de partage de marché tels que ceux conjointement adoptés par Servier et Krka cherchent artificiellement à recréer.

Enfin, bien que l’analyse des effets d’un accord ne soit pas nécessaire lorsque celui-ci constitue une restriction de concurrence par objet, la Cour a en l’espèce pris le soin de confirmer les conclusions de la Commission sur ce point. Elle confirme ainsi qu’indépendamment de la possibilité réelle et concrète pour Krka d’entrer sur les marchés principaux de Servier avec sa version générique du périndopril, la circonstance que la première ait effectivement renoncé à cette possibilité en se concertant avec la seconde avait abouti à l’élimination d’une source de concurrence potentielle sur ces marchés et, partant, avait eu pour effet réel (et non simplement hypothétique) de restreindre la concurrence.

La délimitation du marché pertinent dans le secteur pharmaceutique : le retour à une approche centrée sur le prix ?

L’autre revers pour Servier réside, en l’espèce, dans l’application rigoriste par la Cour des principes économiques guidant l’analyse de la substituabilité du côté de la demande aux fins de la définition du marché pertinent.

Dans la droite ligne de sa pratique décisionnelle antérieure dans le secteur pharmaceutique, la Commission avait, dans sa décision, défini le marché pertinent de manière étroite au niveau du principe actif du périndopril, ce qui lui avait permis d’établir sans difficulté la position dominante de Servier sur ce marché. A hauteur d’appel, le Tribunal avait cependant conclu que le marché pertinent était en fait plus large et englobait non seulement le périndopril dans ses formes princeps et générique, mais également tous les autres médicaments inhibiteurs de l’ECA. Pour parvenir à cette conclusion, celui-ci était allé au-delà de la concurrence par les prix, qui constitue de manière évidente le facteur le plus immédiat de concurrence entre princeps et génériques. Tenant compte des spécificités du secteur pharmaceutique liées tant à la réglementation applicable qu’au rôle des médecins ainsi qu’à la prise en charge du prix des médicaments par des mécanismes d’assurance, le Tribunal avait jugé que la concurrence s’exerçait non seulement par les prix mais aussi (et surtout) par la qualité des produits. Partant, celui-ci avait souligné l’importance des facteurs d’ordre qualitatif dans l’évaluation de la substituabilité du côté de la demande, tels que les indications et recommandations thérapeutiques, l’expérience des médecins et les perceptions subjectives quant à une éventuelle supériorité du périndopril sur d’autres inhibiteurs de l’ECA.

De manière assez inattendue, la Cour censure l’arrêt du Tribunal sur ce point et juge que ce dernier s’est contredit dans son analyse et, ce faisant, a méconnu les principes applicables à la délimitation du marché pertinent dans le secteur pharmaceutique. Selon la Cour, le Tribunal ne pouvait en effet tout à la fois inclure d’autres inhibiteurs de l’ECA dans le marché pertinent et constater, parallèlement, que la demande de périndopril n’était pas impactée par sa différence importante de prix avec ces autres inhibiteurs.

Or, la Cour considère que, dans le secteur pharmaceutique comme dans tout autre secteur, l’interchangeabilité ou la substituabilité entre deux produits ne s’apprécie pas au seul regard des caractéristiques objectives des produits et la question de savoir si, d’un point de vue fonctionnel, ceux-ci sont aptes à satisfaire un même besoin mais exige, en outre, de déterminer s’ils sont économiquement substituables. Concrètement, ceci implique de déterminer si, dans l’hypothèse d’une augmentation de prix légère mais permanente d’un produit, les consommateurs de ce produit se tourneraient vers un autre produit moins cher. Par conséquent, le constat du Tribunal selon lequel la demande de périndopril était demeurée stable en dépit de la forte baisse des prix des autres inhibiteurs de l’ECA était, selon la Cour, un indicateur fort de l’absence de substituabilité entre le périndopril et ces autres inhibiteurs, indépendamment du fait que cette stabilité ait pu résulter d’autres facteurs non tarifaires tels que les qualités intrinsèques du périndopril, le rôle des médecins prescripteurs ou encore les efforts promotionnels déployés par Servier.

Ce revirement, qui replace les facteurs tarifaires au cœur de l’analyse de la substituabilité du côté de la demande et relègue – du même coup – les autres facteurs d’ordre qualitatif au second plan, contraste nettement avec la position adoptée par la Cour dans son arrêt Hoffmann-La Roche de 2018, dans lequel elle avait insisté sur les spécificités de la concurrence dans le secteur pharmaceutique – en particulier sur le fait que les médecins prescripteurs étaient principalement guidés par des considérations d’opportunité thérapeutique et d’efficacité des médicaments1.

On ne peut donc que s’interroger sur la portée exacte de la position adoptée par la Cour et sur l’interprétation qui sera faite de son arrêt par les juridictions nationales des États membres, qui sont amenées à connaître l’essentiel des affaires dans le secteur pharmaceutique. Il reste en particulier à voir si l’importance des facteurs tarifaires dans la définition du marché pertinent vaut uniquement pour les marchés où la concurrence immédiate s’exerce entre princeps et génériques, ou si cette approche pourra être étendue à d’autres situations.

Pour l’heure, deux enseignements semblent pouvoir être tirés avec certitude de cette affaire :

  • d’une part, en dépit de la position sévère adoptée par la Cour et de son franc désaccord avec le Tribunal, la délimitation du marché pertinent dans le secteur pharmaceutique demeure sujet à débat, notamment dans les cas où il est possible de démontrer une certaine élasticité de la demande au prix ;
  • d’autre part, les groupes pharmaceutiques devraient redoubler de vigilance dans leur façon de se comporter sur le marché, en gardant à l’esprit que l’image qu’ils se font de leur environnement concurrentiel n’est pas forcément en adéquation avec l’approche juridique et économique adoptée par les autorités de concurrence. Cet enseignement est d’autant plus important qu’un tel « décalage » peut en pratique avoir des conséquences déterminantes sur l’appréciation de leur pouvoir de marché réel et, partant, sur la responsabilité particulière pesant sur eux au titre de leur (éventuelle) position dominante sur le marché.

Contributors

Les auteurs tiennent à remercier Quentin Colombier pour sa contribution à cet OnPoint.


Footnotes

  1. CJUE, 23 janvier 2019, Hoffmann-La Roche, affaire C-179/16, §65.

DISCLAIMER: Because of the generality of this update, the information provided herein may not be applicable in all situations and should not be acted upon without specific legal advice based on particular situations.

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