Arrêt historique de la CSC : La Charte s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario

Le 21 juin 2024, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a rendu son jugement dans l’affaire Conseil scolaire de district de la région de York c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario (l’« affaire Conseil scolaire de York »). Dans sa décision, la CSC a statué que la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario et que toutes les activités menées par ces derniers, ainsi que par leurs représentants et leurs délégués, sont susceptibles de faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte.

L’affaire Conseil scolaire de York a également d’importantes répercussions sur la protection de la vie privée en milieu de travail au Canada, ainsi que sur la norme de contrôle applicable aux décisions des acteurs administratifs.

Contexte

La Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario a déposé un grief au nom de deux enseignantes ayant fait l’objet d’une réprimande inscrite à leur dossier pour utilisation abusive de technologies appartenant au Conseil scolaire de district de la région de York (le « Conseil scolaire »). Les enseignantes avaient utilisé un journal électronique personnel, lequel était stocké sur une plateforme infonuagique sous forme de fichier personnel Google Docs, pour consigner leurs préoccupations à l’égard d’un autre enseignant. Ayant appris l’existence de ce journal électronique, d’autres enseignants se sont plaints à la direction de l’école au sujet de l’environnement de travail, ce qui a donné lieu à une enquête menée par le directeur de l’école.

Bien que le journal électronique ait été protégé par un mot de passe et créé à partir de comptes personnels, le directeur y a tout de même accédé en touchant le tapis de souris de l’ordinateur portable de l’une des enseignantes; celle-ci l’ayant laissé ouvert par inadvertance dans sa salle de classe. Le directeur a alors pris des photos du journal électronique, les a imprimées et les a transmises au Conseil scolaire. Un mois plus tard, les enseignantes ont reçu des réprimandes écrites pour avoir utilisé du matériel technologique appartenant au Conseil scolaire aux fins de la tenue de leur journal électronique.

L’arbitre chargé d’entendre le grief a conclu que les enseignantes avaient une attente raisonnable en matière de vie privée pour ce qui est de leur journal, laquelle attente avait été réduite par le fait d’avoir laissé l’ordinateur ouvert dans le lieu de travail. L’enquête menée par le directeur était donc raisonnable et ne constituait pas une violation du droit à la protection de la vie privée des enseignantes compte tenu des préoccupations soulevées par les autres enseignants au sujet d’un environnement de travail toxique. La Cour divisionnaire de l’Ontario (la « Cour divisionnaire ») a confirmé cette décision. La Cour d’appel de l’Ontario (la « Cour d’appel ») a infirmé la décision de la Cour divisionnaire, statuant que l’arbitre et la majorité des juges de la Cour divisionnaire avaient erré dans leur interprétation des droits dont bénéficiaient les enseignantes en contexte de travail en vertu de l’article 8 de la Charte.

Application de la Charte aux conseils scolaires

La CSC a conclu à l’unanimité que la Charte s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario au motif que ceux-ci font partie du gouvernement de par leur nature même. Elle a déterminé que l’enseignement public présente un caractère constitutionnel unique, comme en témoigne l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. Selon les juges majoritaires de la CSC, les conseils scolaires publics de l’Ontario sont une branche du gouvernement, du fait qu’ils exercent des pouvoirs qui leur sont confiés par la législature provinciale. Par conséquent, toutes les activités menées par les représentants et les délégués de ces conseils scolaires publics, tels que les directeurs d’écoles, sont susceptibles de faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte.

Au nom de la majorité de la CSC, le juge Rowe a déclaré que l’analyse menée dans le cadre de cette affaire porte spécifiquement sur les conseils scolaires publics de l’Ontario et que, de ce fait, la CSC ne se prononçait pas sur l’applicabilité de la Charte aux conseils scolaires d’autres provinces ou aux écoles privées. Il a toutefois précisé que les principes sur lesquels la CSC s’est fondée pour rendre cette décision s’appliquent également à l’extérieur de l’Ontario.

Cadre d’analyse applicable aux questions de respect de la vie privée sur le lieu de travail

Les juges majoritaires de la CSC ont conclu que l’arbitre avait commis une erreur dans son analyse en opposant les droits de la direction aux droits des employés en matière de respect de la vie privée, alors qu’elle aurait dû recourir au cadre analytique applicable à l’article 8 de la Charte. Dans les situations où s’applique un droit prévu par la Charte, l’arbitre ou le décideur administratif doit reconnaître et analyser ce droit. Il est insuffisant de simplement faire référence à l’existence d’un tel droit, sans effectuer une analyse sur le fond au moyen du cadre analytique applicable.

Le juge Rowe s’est ensuite penché sur l’existence et l’étendue des attentes raisonnables en matière de respect de la vie privée en contexte de travail. Les juges majoritaires de la CSC ont statué que, pour analyser s’il y a eu violation de la protection conférée par l’article 8 de la Charte contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives en contexte de travail, deux questions doivent être analysées : premièrement, la question de savoir s’il existe une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, laquelle constitue une analyse contextuelle fondée sur « l’ensemble des circonstances »; et, deuxièmement, la question de savoir si la fouille était raisonnable aux termes d’une convention collective applicable. Les arbitres peuvent continuer de s’appuyer sur la jurisprudence arbitrale en matière de protection de la vie privée en contexte de travail, mais doivent s’assurer que leur analyse est conforme au cadre d’analyse applicable à l’article 8 de la Charte.

La CSC n’a pas examiné s’il y avait eu violation des droits dont bénéficiaient les enseignantes en vertu de l’article 8 de la Charte, puisque les réprimandes écrites avaient été ultimement retirées de leurs dossiers, ce qui a eu pour effet de rendre cette question sans objet.

Norme de contrôle applicable au droit administratif

Le juge Rowe a statué qu’en vertu de l’arrêt de la CSC dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov (« l’affaire Vavilov »), la norme de la décision correcte s’applique aux décisions administratives visant à déterminer l’applicabilité de la Charte, car ces décisions exigent une réponse décisive et définitive des tribunaux et ne dépendent pas des circonstances particulières de l’affaire.

Dans l’affaire Vavilov, la CSC a statué que l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable se présume dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions administratives. Cette présomption peut être réfutée dans certains cas, notamment lorsqu’un tribunal administratif tranche des questions constitutionnelles. Dans l’affaire Conseil scolaire de York, la CSC élargit la portée de la catégorie des « questions constitutionnelles » et précise que les juridictions de révision doivent effectuer leur propre analyse de l’applicabilité de la Charte au lieu de faire preuve de déférence à l’endroit de l’arbitre ou du décideur administratif.

Les juges majoritaires de la CSC ont également appliqué la norme de la décision correcte pour réviser la décision de l’arbitre relativement à l’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée des enseignantes. Dans les deux cas, ils ont déterminé que l’arbitre avait commis une erreur de droit et pour cette raison, sa décision a été annulée.

Dans une opinion concordante, les juges Karakatsanis et Martin ont convenu que la norme de la décision correcte s’applique aux décisions administratives portant sur l’applicabilité de la Charte, mais ont exprimé leur désaccord quant à l’application de cette norme à la révision de la décision de l’arbitre à l’égard du droit au respect de la vie privée au travail. Les juges Karakatsanis et Martin ont appliqué la norme de la décision raisonnable à la décision de l’arbitre pour ainsi déterminer que, dans son ensemble, cette décision était déraisonnable.

Blakes a agi pour le compte de l’intervenante, Egale Canada.

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