Modernisation des fonds d'investissement alternatifs : les enjeux de l’ordonnance n°2024-662 du 3 juillet 2024

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Key Takeaways

L’ordonnance n°2024-662 du 3 juillet 2024 portant modernisation du régime des fonds d'investissement alternatifs (l’ « Ordonnance ») constitue une avancée majeure, longtemps réclamée par les acteurs de la place de Paris, en ce qu’elle apporte de réelles nouveautés et des clarifications attendues pour la compétitivité des fonds d’investissement alternatifs français.

Points clés de l’Ordonnance

  1. Contexte juridique : l’Ordonnance est entrée en vigueur le 5 juillet 2024. Un projet de loi de ratification devra néanmoins être déposé devant le Parlement avant le 4 octobre 2024, sous peine de caducité.
  2. Mise en cohérence : introduction d’ajustements techniques ciblées, afin de faciliter l’application directe d’ELTIF II¹ en droit français.
  3. Nouveau véhicule d’investissement : création de la « société de libre partenariat spéciale » (« SLPs ») destinée à concurrencer la société en commandite spéciale luxembourgeoise.
  4. Fonds réservés aux investisseurs professionnels
    1. introduction de la possibilité, pour les fonds professionnels spécialisés (« FPS ») (y compris les sociétés de libre partenariat (« SLP »)) d’émettre des titres de créance, renforçant ainsi leur attractivité auprès d’investisseurs institutionnels soumis à des contraintes prudentielles particulières ;
    2. clarifications sur la possibilité pour les FPS, SLP et les fonds professionnels de capital investissement (« FPCI »), d’émettre des parts, actions, ou, pour les FPS et SLP seulement, des titres de créance « traçants ».
  5. Investisseurs non-professionnels : alignement partiel du quota d’investissement juridique des fonds communs de placement à risques (« FCPR ») sur celui des FPCI, permettant d’étoffer et de rendre plus attractive l’offre « fonds de fonds » destinée aux investisseurs non-professionnels.
  6. Investissements éligibles des SCPI : l’Ordonnance élargit le spectre des actifs éligibles à l’actif des sociétés civiles de placement immobilier (« SCPI ») et les possibilités de structuration des investissements.

Une Ordonnance soumise à ratification du Parlement

L’Ordonnance, prise en application de l’article 40 de la Loi « Industrie Verte »², a été publiée au Journal Official de la République Française le 4 juillet 2024, et est entrée en vigueur le lendemain de sa publication.

Toutefois, un projet de loi de ratification devra être déposé par le Gouvernement au Parlement dans les trois mois qui suivent la publication de l’Ordonnance (soit le 4 octobre 2024 maximum), sous peine de caducité. Le contexte politique actuel et la probable instabilité politique à venir ne permettent pas de disposer à ce jour d’une grande visibilité sur ce calendrier, et nous restons donc prudents sur la mise en œuvre de ces avancées, en espérant un dépôt rapide du projet de loi de ratification dès le début de la prochaine mandature, et la publication rapide des mesures d’application correspondantes.

Des ajustements ciblés et nécessaires au regard du Règlement ELTIF II

L’Ordonnance prévoit un certain nombre d’ajustements techniques rendus nécessaires par l’entrée en vigueur du Règlement ELTIF II. Pour rappel, le Règlement ELTIF II est d’application directe (il ne nécessite pas de mesures de transposition par les Etats membre de l’Union européenne). Néanmoins, consistant en un « label » apposé par les régulateurs locaux compétents sur une forme juridique locale de fonds d’investissement alternatif, il est nécessaire que les règles juridiques locales qui s’appliquent aux formes de fonds concernés rendent possible en pratique le fonctionnement de ces ELTIFs.

A ce titre, et de manière non exhaustive :

  • pour les fonds agréés ELTIF, le plafonnement des rachats de parts ou actions n’est plus seulement limité à une mesure provisoire si des circonstances exceptionnelles l’exigent et si l’intérêt des porteurs de parts ou actionnaires ou du public le commande. Pour ces fonds, le Code monétaire et financier renvoie également expressément à l’application des dispositions du Règlement ELTIF II en la matière ; et
  • la limite de détention des créances par un FPCI (fixée auparavant à 10% de son actif) est supprimée.

Création de la Société de Libre Partenariat Spéciale

La SLP, introduite par la loi 2015-990 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques du 6 aout 2015, dite « Loi Macron », visait à rendre la France plus compétitive sur le marché international des fonds d'investissement en offrant une structure flexible et attractive comparable à celles disponibles dans d'autres juridictions, comme les limited partnerships anglo-saxons ou la société en commandite simple ou spéciale luxembourgeoise.

Toujours dans un souci d’adapter l’offre des fonds français aux structures disponibles dans les principales juridictions de la gestion d’actifs, la SLP spéciale, sans personnalité morale, nouvelle variante de la SLP est une réponse directe à la société en commandite spéciale luxembourgeoise, en ce qu’elle lui emprunte son absence de personnalité juridique.

Si l’essentiel du régime juridique de cette nouvelle forme sociale novatrice est commun avec celui de la SLP classique (i.e., société en commandite simple, organes sociaux, mode de gestion, responsabilité limitée des associés commanditaires), des ajustements techniques intéressants sont à relever avec notamment la création d’une « masse commune » que le gérant administre dans l'intérêt des associés et dont il dispose librement dans la limite des statuts.

En toute logique, la SLP spéciale devrait être soumise au même régime fiscal que la SLP classique (et donc par renvoi, à celui du FPCI), mais il appartiendra au législateur de se prononcer explicitement à ce sujet dans le cadre de la prochaine loi de finances. Par ailleurs, l’absence de personnalité morale de la SLP spéciale devrait permettre à certains investisseurs étrangers de traiter ce véhicule comme totalement transparent selon les règles applicables dans leur Etat de résidence (e.g. investisseurs belges), ouvrant ainsi la voie à de nouvelles possibilités de structuration.

L’élargissement aux FPS et aux SLP de la possibilité d’émettre des titres de créance

Attendu depuis un certain nombre d’années et toujours dans le même objectif de permettre aux FPS et aux SLP de représenter des alternatives crédibles aux structures de fonds luxembourgeoises, les FPS et les SLP peuvent dorénavant et sous certaines conditions, lesquelles seront précisées par décret, émettre des titres de créance en plus de parts ou actions.

Cette nouveauté permettra notamment aux FPS et SLP d’accueillir plus facilement certains investisseurs institutionnels ayant des contraintes prudentielles particulières. En effet, l’investissement en titres de créance pour certains d’entre eux a un impact plus favorable sur leur ratio de fonds propres sous Solvency II (Directive 2009/138/CE et ses textes d’applications).

Alignement d’une partie du quota juridique des FCPR sur celui des FPCI, facilitant les stratégies fonds de fonds destinées investisseurs non-professionnels

L’Ordonnance suit également une logique de renforcement de l’offre, notamment celle des fonds ouverts aux non-professionnels. Compte tenu des contraintes d’application du quota juridique des FCPR, les gérants de fonds de fonds français ne pouvaient pas proposer aux investisseurs non-professionnels français (notamment dans le cadre du mouvement de démocratisation du private equity) la même offre de produits en matière de fonds de fonds que celle réservée aux clients professionnels.

En effet, les investissements par les FCPR dans d’autres fonds étaient auparavant limités aux droits dans des entités constituées dans un Etat membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques et, pour le calcul du quota de 50%, ces droits n’étaient retenus qu’à concurrence du pourcentage d’investissement direct de l’entité en question dans les sociétés éligibles.

Désormais, la définition des entités d’investissement éligibles au quota juridique des FCPR est alignée sur celle des FPCI, permettant aux FCPR d’investir dans « des droits représentatifs d'un placement financier émis sur le fondement du droit français ou étranger dans une entité qui a pour objet principal d'investir directement ou indirectement » dans des sociétés éligibles au quota d’investissement de 50%.

Ainsi, pour le calcul du quota juridique des FCPR, les droits détenus dans un autre fonds d’investissement sont désormais retenus dans le quota d’investissement de 50% du FCPR « à concurrence du pourcentage d'investissement direct ou indirect de l'actif de l'entité concernée dans les sociétés éligibles à ce même quota ».

Cette dichotomie entre les FPCI et les FCPR fermait la porte à ces derniers à un certain nombre d’investissements potentiels. Ceci permettra aux fonds de fonds sous forme de FCPR une plus importante diversification particulièrement bienvenue pour des investisseurs non-professionnels.

En revanche, cette modification réglementaire ne devrait pas affecter les modalités de calcul du « quota fiscal » prévu à l’article 163 quinquies B du Code général des impôts, qui prévoit que les investissements réalisés indirectement par l’intermédiaire d’une entité d’investissement ne sont pris en compte que dans la limite d’un seul niveau d’interposition.

La possibilité de créer des parts, actions ou titres de créance « traçants »

L’Ordonnance clarifie enfin la possibilité pour les fonds professionnels (FPS/SLP et FPCI) de créer des parts ou actions « donnant lieu à des droits différents sur tout ou partie de l'actif du fonds ou de ses produits ». Cette possibilité est également étendue, pour les FPS et SLP seulement, à l’émission de titres de créance ayant ces mêmes caractéristiques.

Il est toutefois précisé que ces dispositifs ne doivent pas qualifier d’opération de titrisation au sens du règlement (UE) 2017/2402 du 12 décembre 2017 créant un cadre général pour la titrisation ainsi qu’un cadre spécifique pour les titrisations simples, transparentes et standardisées (le « Règlement Titrisation »). Cette restriction, déjà prévue en matière d’organismes de financement spécialisés, a pour but d’interdire le « tranching » du risque de crédit, soumis au Règlement Titrisation et considéré sur un plan prudentiel pour l’investisseur, comme un investissement dans une opération de titrisation.

Cette clarification doit être saluée dans la mesure où, sur la base des textes existants, le principe même de créer des titres « traçants », et les contours de cette possibilité lorsqu’il y était fait recours, étaient relativement flous (avec des pratiques variées selon les gérants de fonds et les dépositaires). Des structurations plus complexes, alignées sur les pratiques en cours dans certaines juridictions européennes seront dorénavant clairement possibles.

En pratique :

  • il conviendra également de prévoir expressément dans les structures d’investissement concernées l’interaction de ces différentes classes d’actions, parts ou titres de créance avec les droits au carried interest des équipes de gestion ; et
  • l’émission de titres de créance par les FPS et SLP pourrait offrir de nouvelles perspectives de structuration pour les opérations de NAV financing. Les décrets devant mettre en œuvre cette mesure sont donc particulièrement attendus par les acteurs concernés.

De nouvelles possibilités de structurations juridiques des acquisitions d’actifs immobiliers par les SCPI

Le projet de Loi Pacte (Loi 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises) adopté par l’Assemblée nationale prévoyait, sous certaines conditions, la possibilité pour les SCPI d’investir en meubles meublants (permettant par exemple, d’installer des panneaux photovoltaïques sur le toit des immeubles acquis en vue de la location) ou d’investir dans les actifs immobiliers au travers de sociétés autres que des sociétés de personnes. Malheureusement, au grand dam des professionnels du secteur, le conseil constitutionnel avait censuré ces mesures, jugeant qu’elles relevaient d’un « cavalier législatif ».

La liste des actifs éligibles aux SCPI a donc été mise à jour et le nouvel article L. 214-115 du Code monétaire et financier, prévoit explicitement la possibilité pour ces entités d’investir dans « meubles meublants, biens d'équipement ou biens meubles affectés à ces immeubles et nécessaires au fonctionnement, à l'usage ou à l'exploitation de ces derniers, ainsi que tout procédé de production d'énergies renouvelables en vue de la location ou de l'exploitation ou de ces deux finalités, et des droits réels portant sur de tels biens ».

Ce même article prévoit également dorénavant la possibilité pour les SCPI d’investir dans des actifs immobiliers au travers de sociétés (autres que des sociétés de personnes) non cotées, à prépondérance immobilière et dont la responsabilité des associés est limitée au montant de leurs apports. Ces critères sont cumulatifs. Cette nouveauté est bienvenue puisqu’elle rapproche davantage la SCPI des OPCI en matière de structuration des investissements sous-jacents. Elle élargira les horizons d’investissement des fonds collectés par les SCPI en permettant notamment les investissements dans des juridictions dans lesquelles la limitation aux structurations au travers de sociétés de personnes, pouvait être un frein au déploiement.

D’un point de vue fiscal, la possibilité pour les SCPI d’exploiter directement des biens immobiliers meublés ou équipés devra être considérée avec prudence, dans la mesure où ce type de location constitue une activité commerciale qui, si elle n’est pas exercée à titre accessoire, peut entrainer l’assujettissement de la SCPI à l’impôt sur les sociétés.

¹ Règlement (UE) 2023/606 modifiant le règlement (UE) 2015/760.

² Loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte.

DISCLAIMER: Because of the generality of this update, the information provided herein may not be applicable in all situations and should not be acted upon without specific legal advice based on particular situations.

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