Notre équipe en Droit Social revient sur deux arrêts de la Cour de cassation et une fiche pratique de la CNIL

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Entretien annuel d’évaluation : attention à la rédaction du compte-rendu qui peut constituer une sanction disciplinaire. Le forfait-jours n’est pas synonyme de totale liberté du salarié. CNIL : précisions sur le droit d’accès des salariés à leurs données personnelles, notamment contenues dans les courriels.

Entretien annuel d’évaluation : attention à la rédaction du compte-rendu qui peut constituer une sanction disciplinaire

Un employeur ne peut sanctionner plusieurs fois les mêmes faits, le principe est bien connu.

Son application pratique soulève néanmoins des difficultés comme l’illustre un arrêt du 2 février 2022 (n°20-13.833) rendu par la Cour de cassation.

Dans cette affaire, l'employeur reproche à un salarié, dans le compte rendu établi à l’issue de son entretien annuel d’évaluation, « son attitude dure et fermée aux changements, à l'origine d'une plainte de collaborateurs en souffrance », « des dysfonctionnements graves liés à la sécurité électrique et le non-respect des normes réglementaires ». L’intéressé est invité « de manière impérative et comminatoire et sans délai » à un « changement complet et total ». Un mois plus tard, ce salarié est licencié pour faute grave, précisément en raison de l’attitude et des dysfonctionnements dénoncés dans le compte-rendu.

Le salarié conteste en justice le bien-fondé de son licenciement et obtient gain de cause en appel. La Cour d’appel juge en effet que la société a épuisé son pouvoir disciplinaire dans le cadre du compte-rendu d’entretien annuel d’évaluation, qu’elle qualifie d’avertissement au motif qu’il comporte des griefs précis et qu’il sanctionne un comportement considéré comme fautif.

Cette solution est approuvée par la Cour de cassation qui écarte les arguments de l’employeur selon lesquels le compte rendu d’entretien d’évaluation ne peut être considéré comme une mesure disciplinaire alors que l’intention de sanctionner le salarié n’y était pas manifestée.

N’est-ce pas l’objet de l’entretien annuel que d’évaluer le salarié ?

Certes, pour autant, il a été jugé, à plusieurs reprises, qu’indépendamment de la qualification ou de la forme donnée à la mesure, les reproches écrits faits à un salarié caractérisent un avertissement (c’est-à-dire une sanction disciplinaire) au motif qu’ils sont de nature à « affecter la carrière du salarié » (Cass. soc., 26 mai 2010 n°08-42.893, Cass. soc., 3 février 2017, n°15-11.433).

Dans le même temps, la Cour de cassation a pu préciser qu’un compte rendu d’entretien faisant état de manquements constatés et aux termes duquel son auteur précise qu’il entend demander une sanction ne caractérise pas un avertissement (Cass. soc., 27 mai 2021 n° 19-15.507).

La combinaison de ces décisions invitent donc les employeurs à la plus grande vigilance dans la rédaction du compte-rendu d’entretien annuel d’évaluation qui doit, selon nous, se limiter à des constats objectifs sans tirer de conclusions et notamment inviter expressément le salarié à un changement d’attitude. Les règles de prescription devront ensuite être bien respectées si une sanction doit être prononcée.

La nuance se situe dans l’épaisseur du trait. Pour autant, le compte rendu entretien annuel ne doit pas être négligé en ce qu’il est susceptible d’être une pièce essentielle dans le cadre d’un contentieux prud’homal.

Le forfait-jours n’est pas synonyme de totale liberté du salarié

Modalité dérogatoire du décompte du temps de travail, le forfait annuel en jours concerne les salariés dont les missions ne leur permettent pas de suivre l’horaire collectif ou ceux qui disposent d’une réelle autonomie dans l’exercice de leurs fonctions (article L. 3121-58 du Code du travail).

Dans quelle mesure l’autonomie du salarié soumis au forfait jours lui permet (ou non) de s’exonérer de certaines contraintes horaires ou organisationnelles, par essence inhérentes au statut de salarié ?

C’est à cette question que répond la Cour de cassation dans un arrêt du 2 février 2022 (n°20-15.744).

Dans cette affaire, une salariée était employée en tant que vétérinaire par une clinique dans le cadre d’un forfait annuel en jours. Son employeur lui avait transmis un planning de présence, organisé en demi-journées et journées de présence et d’absence, fixé à la fois dans l’intérêt de l’entreprise mais également pour tenir compte des obligations familiales de l’intéressée. Or, la salariée n’avait pas tenu compte de ce planning : elle avait alors été licenciée pour faute grave par son employeur qui lui reprochait des absences répétées lors de périodes de présence obligatoires.

La salariée conteste son licenciement en soutenant qu’en tant que cadre soumise à un forfait annuel en jours, elle était autonome dans l’organisation de son travail.

Cet argument est cependant rejeté par les juges qui valident le licenciement disciplinaire.

La Cour de cassation abonde dans le sens de la Cour d’appel et précise que « la convention individuelle de forait annuel en jours n’instaure pas au profit du salarié un droit à la libre fixation de ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l’organisation du travail par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction ».

Le recours au forfait jours n’exclut donc pas la possibilité pour l’employeur d’imposer des contraintes organisationnelles aux salariés soumis à un forfait jours (comme par exemple la présence à des réunions obligatoires ou bien des plages horaires de présence) dès lors que cela est justifié par les contraintes de l’entreprise et que le salarié peut librement organiser sa journée de travail en dehors de ces contraintes. 

CNIL : précisions sur le droit d’accès des salariés à leurs données personnelles, notamment contenues dans les courriels

Dans une fiche pratique du 5 janvier 2022, la CNIL rappelle que tout salarié peut exercer son droit d’accès auprès de son employeur. L’exercice de ce droit permet de savoir si des données le concernant sont traitées puis d’en obtenir communication dans un format compréhensible, et ce afin de contrôler l’exactitude des données et au besoin de les faire rectifier ou effacer.

La CNIL précise que le droit d’accès porte sur des données personnelles et non des documents. Elle en déduit ainsi que les salariés ne peuvent pas réclamer la communication d’un document sur le fondement du droit d’accès. Toutefois, elle autorise la communication de documents si le destinataire de la demande estime que cela est plus pratique.

Tel peut être le cas pour des courriels puisqu’en cas de demande par le salarié, la CNIL indique que ce dernier doit obtenir communication des métadonnées (horodatage et destinataire notamment) mais également des données personnelles contenues dans le corps du courriel.

Toutefois, la CNIL précise que le droit d’accès ne doit pas porter atteinte au droit des tiers dont les données peuvent également être traitées. Cette protection des tiers permet aux employeurs de limiter l’accès du salarié aux seules données dont la communication ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits des tiers.

En pratique, l’employeur faisant face à une demande de communication de courriels par un salarié devra distinguer selon :

  • qu’il est l’auteur ou le destinataire des emails : dans ce cas la communication des courriels est présumée respectueuse du droit des tiers (le salarié ayant d’ores et déjà eu connaissance dudit courriel), sauf exception (atteinte à la sécurité nationale ou à un secret industriel). Dans ces cas exceptionnels, l’employeur devra dans un premier temps tenter d’anonymiser, de supprimer ou de pseudonomyser les données concernant des tiers ou sensibles. Ce n’est que si ces mesures s’avèrent insuffisantes qu’il pourra refuser l’accès aux données en motivant et justifiant sa décision.
  • qu’il est seulement mentionné dans le contenu du courriel : dans ce cas l’employeur doit trouver un équilibre entre le droit d’accès du salarié et le respect des droits et libertés des autres salariés, notamment le secret des correspondances. Il devra ainsi dans un premier temps s’assurer que les moyens à mettre en œuvre pour identifier les courriels demandés n’entrainent pas une atteinte disproportionnée aux droits des autres salariés de l’entreprise. Si tel devait être le cas, il devrait, dans un premier temps inviter le salarié à préciser sa demande et, ensuite, refuser la communication si le salarié refuse.

En revanche, si la demande du salarié est précise et permet d’identifier les courriels sollicités sans porter une atteinte disproportionnée aux droits des tiers alors l’employeur devra examiner le contenu des courriels et apprécier si leur communication est susceptible de porter atteinte aux droits des tiers. Une analyse au cas par cas sera alors nécessaire.

La CNIL rappelle par ailleurs que les courriels personnels font l’objet d’un régime spécifique puisque l’employeur, n’étant pas autorisé à y accéder, ne doit pas prendre connaissance de leur contenu et doit fournir le courriel en l’état au salarié qui en fait la demande, sous réserve que ce dernier en soit bien l’expéditeur ou le destinataire.

Si la fiche pratique de la CNIL a le mérite d’apporter un éclairage sur la méthodologie à suivre en cas de demande d’accès par un salarié à ses courriels, l’appréciation d’une atteinte au droit des tiers est empreinte d’une subjectivité certaine laissant présager le développement de contentieux dans le futur.

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