Dans le Renvoi relatif à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (l’« arrêt »), une majorité de juges de la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a déclaré que la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (Canada) (la « Loi ») est constitutionnelle. Le présent bulletin traite de quelques-unes des répercussions concrètes de cet arrêt sur les entreprises et les consommateurs canadiens. Pour en savoir davantage sur l’analyse constitutionnelle qui a été réalisée par la CSC dans cette affaire, consultez notre Bulletin Blakes intitulé La CSC confirme la constitutionnalité de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.
HISTORIQUE DE LA RÉGLEMENTATION DES GES AU CANADA
Au Canada, plusieurs provinces et territoires disposent, depuis de nombreuses années, de régimes de réglementation des émissions de gaz à effet de serre (les « GES »), dont l’Alberta, qui s’est dotée d’un tel régime en 2007. Ces régimes varient d’une province ou d’un territoire à l’autre, qu’il s’agisse de régimes d’intensité des émissions, de régimes de taxes ou de redevances sur le carbone, ou de régimes de plafonnement et d’échange.
Entrée en vigueur en juin 2018, la Loi comprend deux volets clés. La première partie de la Loi établit une redevance sur les combustibles qui s’applique aux producteurs, aux distributeurs et aux importateurs de combustibles à base de carbone, dont les coûts devraient être assumés par les consommateurs. Quant à la deuxième partie, elle instaure un système de tarification fondé sur le rendement (le « STFR ») qui s’applique aux grands émetteurs industriels en fonction des exigences relatives à l’intensité des émissions.
La Loi confère aux provinces et aux territoires le droit de réglementer la tarification des émissions de GES. Cependant, et il s’agit d’un bémol important, la Loi sert également de filet de sécurité et s’applique dans le cas où un régime de réglementation provincial ou territorial est insuffisant ou ne satisfait pas aux exigences du modèle fédéral. Pour obtenir une analyse détaillée des mécanismes de la Loi et des répercussions de celle-ci sur les entreprises, consultez notre Bulletin Blakes de décembre 2018 intitulé Entrée en vigueur du Régime fédéral de tarification du carbone en janvier 2019 : à quoi votre entreprise devrait-elle s’attendre?
PRÉSÉANCE DE LA LOI FÉDÉRALE
En confirmant la validité constitutionnelle de la Loi, la majorité des juges de la CSC a précisé que la matière véritable de la Loi est « l’établissement de normes nationales minimales de tarification rigoureuse des GES en vue de réduire les émissions de ces gaz ». Ce faisant, les juges majoritaires ont souligné que la Loi confère au Parlement du Canada le pouvoir de fixer des normes nationales minimales relatives aux GES et ainsi d’établir un « plancher » en matière de tarification des GES qui s’applique dans l’ensemble du pays. De plus, les juges majoritaires ont fait valoir que : « Concrètement, la seule chose que la [Loi] interdit aux provinces et territoires, c’est de ne pas mettre en place de mécanisme de tarification des GES ou d’en établir un qui n’est pas suffisamment rigoureux. »
Alors que le mécanisme de tarification des GES est relativement simple, l’examen par le gouverneur en conseil à l’égard de la rigueur du mécanisme l’est beaucoup moins. Tel qu’il est noté dans l’arrêt : « la notion de rigueur ne vise pas uniquement la redevance par unité d’émission de GES. Elle vise également la portée ou l’étendue de l’application de la redevance eu égard aux combustibles et activités auxquels elle s’applique, ainsi que le pouvoir d’instaurer les régimes réglementaires nécessaires pour l’application d’une telle redevance. » On ne sait toutefois pas quelle est l’étendue des pouvoirs du gouverneur en conseil dans le cadre de son examen relatif à la rigueur ni dans quelle mesure le gouverneur en conseil peut remplacer des régimes provinciaux et territoriaux s’il est déterminé que ceux-ci ne sont pas assez rigoureux.
RÉPERCUSSIONS DE L’ARRÊT
Avec le temps, nous anticipons que cet arrêt de la CSC aura des effets importants sur les consommateurs et les grands émetteurs industriels. Parmi les répercussions initiales de cet arrêt, notons les suivantes :
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Le prix du carbone pourrait augmenter de manière considérable dans l’avenir. Si les propositions énoncées dans le document du gouvernement du Canada intitulé Un environnement sain et une économie saine (le « plan climatique »), publié en décembre 2020, sont adoptées législativement, la tarification des GES pourrait augmenter de 15 $ CA par tonne chaque année de 2023 à 2030. Ainsi, la redevance sur les émissions de GES pourrait atteindre 170 $ CA par tonne de CO2e en 2030.
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Les prix prévus que recevront les promoteurs de projets qui participent à la construction ou à l’exploitation de projets générant des crédits compensatoires d’émissions, pour la vente de tels projets, augmenteront également, ce qui pourrait accroître la viabilité économique de ces projets et favoriser davantage l’innovation au chapitre des stratégies de réduction des GES. Pour en savoir davantage sur le projet de régime fédéral de crédits compensatoires, consultez notre Bulletin Blakes de mars 2021 intitulé Le gouvernement fédéral publie un projet de règlement sur les crédits compensatoires de gaz à effet de serre.
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Même si la tarification des émissions de GES deviendra uniforme dans l’ensemble du Canada, les provinces et les territoires conservent le droit d’instaurer leur propre régime, pourvu que de tels régimes soient acceptés dans le cadre de l’examen relatif à la rigueur par le gouverneur en conseil. Par conséquent, en dépit du fait qu’il ne sera plus nécessaire pour les entreprises de trouver les ressorts qui offrent la plus faible tarification des GES, les entreprises pourraient tout de même opter pour les régimes provinciaux et territoriaux qui procurent une plus grande souplesse au chapitre de la conformité, de la communication de l’information, des crédits de performance en matière d’émissions, des crédits compensatoires de carbone et des solutions taillées sur mesure pour leur secteur.
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L’arrêt n’écarte pas la possibilité que le gouverneur en conseil adopte une approche plus normative à l’égard de la réglementation des émissions dans les provinces et les territoires, ce qui avait été évité jusqu’ici. Tant que la portée de l’examen relatif à la rigueur ainsi que l’étendue des pouvoirs discrétionnaires du gouverneur en conseil dans ce processus ne seront pas clarifiées, la surveillance exercée par le gouvernement fédéral se traduira par une incertitude accrue chaque fois qu’une province ou un territoire modifiera son régime en matière de GES ou instaurera un nouveau régime à cet égard. En conséquence, les gouvernements provinciaux et territoriaux pourraient être réticents à adapter ou à modifier leur régime existant en matière de GES, à moins que des stratégies équivalentes aient été approuvées dans le cadre de l’examen fédéral relatif à la rigueur.
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La CSC a indiqué que les entreprises et les gouvernements qui prennent des décisions ou proposent des projets concernant l’enjeu des changements climatiques devraient garder en tête que les effets des changements climatiques se font sentir et continueront de se faire sentir d’un bout à l’autre du Canada.
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Enfin, l’arrêt pourrait potentiellement servir de modèle à la justification constitutionnelle d’autres aspects du plan climatique du gouvernement fédéral, par exemple. Il reste à voir si le Parlement du Canada sera satisfait de la portée de l’arrêt et s’arrêtera là, ou s’il en profitera pour tenter de s’en servir pour justifier l’instauration d’un régime environnemental national plus ambitieux encore.